Quand le juge administratif met en garde les autorités locales afin de ne pas compromettre « la cohérence, l’efficacité et la lisibilité des mesures prises par les autorités compétentes de l’Etat » pour lutter contre l’épidémie de Covid 19 (Ta de Strasbourg, 3 novembre 2020, Préfet du Haut Rhin, n° 2006788) .
Alors que le débat bat son plein, dans cette période marquée par un nouveau confinement, sur l’ouverture des commerces essentiels à la nation ou encore l’ouverture des librairies, la survie des commerces de proximité est au cœur des préoccupations des politiques locales.
C’est en ce sens que le maire de Colmar, par un arrêté en date du 31 octobre 2020, a autorisé l’ensemble des commerces non alimentaires de vente au détail de sa commune à rouvrir à compter du 4 novembre 2020 à 8 h 30 dans le respect des mesures d’hygiène et distanciation sociales prescrites dans le cadre de la réglementation contre l’épidémie de Covid 19.
Le Préfet du Haut Rhin, sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative (procédure de suspension pour déféré), a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg d’une demande de suspension d’exécution de cet arrêté.
Dans un premier temps, le Président du Tribunal procède à un rappel des dispositions du code de la santé publique qui permettent notamment, au Premier Ministre, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, d’ordonner la fermeture provisoire et de réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité.
Le Tribunal qualifie de « police spéciale » la compétence ainsi donnée aux autorités de l’Etat de prendre des mesures permettant de mettre fin à une catastrophe sanitaire.
Il rappelle également que lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent de telles mesures, ils peuvent habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions.
Le Tribunal rappelle ensuite les buts classiques poursuivis par le pouvoir de police générale du maire que sont la sûreté, la sécurité et à la salubrité publiques.
Ces pouvoirs trouvent leur fondement dans l’article L. 2542-2 du Code général des collectivités territoriales.
Toutefois, après un tel rappel, le Président du Tribunal de Strasbourg fait « primer » classiquement la police spéciale des autorités de l’Etat sur celle du maire dans le cadre spécifique de la lutte contre le Covid 19.
Il édicte une exception à ce principe en posant deux conditions cumulatives restrictives permettant au maire d’intervenir :
- des raisons impérieuses liées à des circonstances locales rendant l’édiction de mesures locales indispensables ;
- le fait que les mesures locales ne compromettent pas la cohérence, l’efficacité des mesures prises par les autorités compétentes de l’Etat, impliquant donc que le maire ne peut pas prendre des mesures de nature moins rigoureuses que celles prises par les autorités de l’Etat.
En l’espèce, et sans surprise, le Président du tribunal administratif de Strasbourg suspend l’exécution de l’arrêté.
Il juge en effet qu’en faisant usage de son pouvoir de police générale et en autorisant l’ensemble des commerces non alimentaires de vente au détail de la commune à rouvrir à compter du 4 novembre 2020, le maire de Colmar a méconnu l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 qui restreint l’accès du public aux seuls établissements proposant des activités considérées comme essentielles.
Faisant application au cas d’espèce de la règle énoncée ci-avant, le Président juge :
« Cet arrêté municipal, qui aurait notamment pour effet d’étendre les motifs permettant au public de quitter leur domicile, est susceptible de compromettre la cohérence, l’efficacité et la lisibilité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat. »
A cet égard, ni le moyen tiré de la rupture d’égalité entre commerçants, ni la concurrence déloyale entre commerçants ne sauraient justifier l’assouplissement des mesures prises par l’Etat.
A lire : L'ordonnance
Hélène CAYLA-DESTREM et Clémence GAUTIER
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