Dérogation d’interdiction de destruction des espèces protégées et Loi Ddadue : plus de complexité que de simplification pour les porteurs de projet immobilier ?
- Me Hélène CAYLA-DESTREM et Me Clémence GAUTIER
- 2 juin
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La loi Ddadue en date du 30 avril 2025 vise à mettre en conformité le droit français avec différentes évolutions législatives européennes notamment en matière environnementale.
Le présent article s’intéresse à la question de la « dérogation espèces protégées » qui doit être prise au sérieux par les porteurs de projets immobiliers, dès lors que l’absence d’une telle dérogation empêche la mise œuvre d’un permis de construire (article L. 425-15 du code de l’urbanisme) et peut également exposer le porteur de projet à des poursuites pénales.
La règle est - en principe - simple : les espèces protégées doivent l’être et le rester.
En ce sens, si un projet, quel qu’il soit, a vocation à mettre en péril une espèce, des études devront être menées et c’est là qu’apparait la question de la dérogation espèces protégées.
Ainsi, selon l’article L. 411-2 du code de l’environnement, il est possible d’obtenir une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégés à la triple condition (i) qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, (ii) que la dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et (iii) qu’elle réponde à l’une des cinq justifications du dit article parmi lesquelles notamment la fameuse raison impérative d’intérêt public majeur (4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement)
Certains projets bénéficient d’une présomption d’intérêt public majeur, tels que certains projets d’énergies renouvelables ou encore de stockage d’énergie.
C’est d’ailleurs en ce sens que s’orientait la loi Ddadue, telle que cela ressort de l’étude d’impact du projet, qui visait à mettre en cohérence le droit français avec la directive dite « RED III » du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et de permettre de « sécuriser les projets d’énergies renouvelables ».
Pourtant, la loi Ddadue est allée plus loin : en modifiant la rédaction de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement sans le circonscrire aux projets d’énergie renouvelable, elle a élargi la nature des projets pour lesquels il ne sera pas nécessaire d’obtenir une dérogation.
Ainsi, selon la nouvelle rédaction de cet article :
« La dérogation mentionnée au 4° du I de l'article L. 411-2 n'est pas requise lorsqu'un projet comporte des mesures d'évitement et de réduction présentant des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces mentionnées à l'article L. 411-1 au point que ce risque apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d'évaluer l'efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire pour garantir l'absence d'incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées. »
Il s’agit là d’une codification imparfaite de l’avis contentieux du Conseil d’Etat rendu en décembre 2022 (CE, 9 décembre 2022, n° 463563) dans lequel ce dernier avait précisé à quelles conditions les porteurs de projet pouvaient se dispenser de déposer une demande de dérogation espèces protégées, à savoir :
Soit quand aucun spécimen d’espèces n’est présent dans la zone ;
Soit, quand les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent d’effectivité suffisantes pour diminuer le risque au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé.
Le dernier alinéa de l’article L. 411-2-1 précité « prendre toute mesure nécessaire supplémentaire pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable des espèces concernées » ne figurait donc pas dans l’avis du Conseil d’Etat de 2022 et semble sujet à interprétation.
En effet, dans l’article L. 411-2-1 du code précité, « le maintien dans un état de conservation favorable des espèces » est une des conditions pour savoir si la demande de dérogation est requise alors que dans l’article L. 411-2, la même formulation est une condition pour obtenir la dérogation.
Il semble donc que le nouvel alinéa opère une sorte de confusion entre condition d’obtention de la dérogation et condition de dispense de celle-ci.
En tout état de cause, et quand bien même la dispense de demande d’autorisation viserait désormais tous les projets, au sens de l’article L. 411-2-1, les porteurs de projet devront redoubler de vigilance sur cette question.
On sait que le fait de ne pas demander de dérogation n’est pas entérinée par l’autorité administrative : elle reste de la responsabilité du porteur de projet qui devrait donc pouvoir en justifier à tous moments.
Par ailleurs, il est toujours loisible pour l’administration de demander une telle dérogation (voir en ce sens CE, 8 juillet 2024, n° 471174).
Et pour le reste, les critères justifiant l’obtention d’une dérogation espèces protégées sont strictement appréciés par le juge.
Qu’il s’agisse de la raison impérative d’intérêt public majeur ou de l’absence de solution satisfaisante, le juge administratif fait une analyse détaillée comme en témoignent de nombreux arrêts et jugements en la matière rendues ces dernières années (exemples CAA de Marseille, 31 mai 2024, n° 23MA00806 ; TA de Toulouse, 27 février 2025, n° 2303544…)
Hélène CAYLA DESTREM et Clémence GAUTIER
